Soyons clairEs ! Il ne s’agira pas dans ce texte de luttes pour « reprendre la ville » ou se « réapproprier nos quartiers ». Ces espaces n’ont jamais été nôtres, que ce soit individuellement ou collectivement. Ni les rues ou les places, ni les hôtels particuliers ou les HLM, ni les stades, les bars ou les salles de concert ne nous appartiennent. La ville a toujours été le terrain de jeu de prédilection du pouvoir ; l’urbanisme, la science qui élabore dans les moindres détails comment elle s’agence et se développe, n’est logiquement qu’un outil des dominantEs. Si l’on déchausse une minute les lunettes du folklore et de la nostalgie, il est difficile de ne pas admettre que l’histoire des cités, anciennes ou modernes, est traversée par une même volonté d’administration des concentrations de population et de gestion des flux humains et marchands. Si l’on peut définir cette disposition au contrôle comme une constante, il est malgré tout important de pointer les évolutions qui ont permis à la ville d’adapter et d’accroître son emprise sur les individuEs qui la peuplent.
Depuis quelques années, l’État impose un nouveau concept, la métropole, qui traîne dans son sillage une série de mots étranges comme attractivité, mobilité, participation, écoquartier… Autant de termes qui dessinent une réalité en kit, un casse-tête géant dans lequel chacun-e serait un pièce condamnée à s’imbriquer à la perfection. Pour aboutir à cette intégration totale, à cette transformation des individuEs en dociles habitantEs qui votent, consomment et ferment leurs gueules, le pouvoir met en place un certain nombre de dispositifs dédiés à faire rentrer dans le rang celles et ceux qui ont un usage déviant du fameux « espace public ». Clermont n’échappe pas à la règle.
L’argument sécuritaire reste un grand classique pour justifier n’importe quelle mesure accentuant le contrôle et la soumission des populations. Lorsqu’il s’agit de façonner des espaces où rien ne se passe en dehors du train-train de la production/consommation et du bal du divertissement, rien de tel que de créer et de monter en épingle un sentiment de crainte chez les citoyenNEs. Sans même parler du délire antiterroriste, nouveau joker que le pouvoir s’est glissé dans la manche en jubilant, on peut observer à Clermont plusieurs exemples plus ordinaires et quotidiens. Le « cas du quartier Mazet/St Pierre » est un des plus significatifs.
Il existe depuis longtemps un enjeu fort pour la Ville à intégrer à l’ordre urbain cet espace où régneraient « incivilités et trafic de drogues ». Mais de quoi parle-t-on ? Les quelques groupes de jeunes qui zonent place du Mazet et rue de la Boucherie ne représentent ni plus ni moins que l’expression d’un rapport anormal à l’espace public. Une anormalité qu’il est indispensable pour les autorités d’effacer en mettant en œuvre deux tactiques : la gentrification et la surveillance.
On commence par aseptiser encore plus la place en la couvrant d’un gris bien minéral et en ajoutant quelques bars et restos pour bobos ou jeunes étudiantEs branchéEs. A quand la rénovation ou le transfert des logements sociaux du quartier pour opérer un tri entre les trop pauvres/chiantEs et les autres ? Cette démarche urbanistique commence ainsi d’oeuvrer à la normalisation de cet espace, ce qui permet ensuite de mieux en justifier l’aboutissement final par la surveillance et la répression. Réacs se plaignant de la baisse de la fréquentation et du chiffre d’affaire de leurs commerces, éluEs alarméEs par les actes d’incivilités, torchons locaux multipliant les gros titres sur la montée de l’insécurité… Tout était prêt pour déployer de nouveaux dispositifs de contrôle : une caméra boule au Mazet, une au marché Saint-Pierre*, un boîtier ultrason pour éloigner les jeunes indésirables, fermeture des passages de traverse de la rue de la Boucherie la nuit (trop bien pour zoner ou échapper aux keufs), création d’une brigade de flics à vélo, contrôles quotidiens de la BAC et des stups… Police, mairie et Ophis (bailleur social) mettent le paquet, avec le soutien des commerçantEs et voisinEs vigilantEs.
Si une pourriture d’élu claironne : « Il faut sécuriser le centre-ville. La liberté, c’est de se déplacer où on veut, et quand on veut », il est évident que ce qui est pointé ici, c’est le comportement déviant de ces groupes qui bouleversent la normalité totalitaire de la ville. Et s’il est clair que les individus parmi eux qui font du biz en vendant leur merde de shit ou accostent des meufs dans la rue du haut de leur position de petits machos nous mettent les nerfs, cette remise en cause permanente de l’ordre urbain provoque la sympathie et appelle la solidarité.
D’autant plus que la dynamique décrite plus haut est à l’œuvre dans plusieurs autres quartiers dits sensibles de l’agglo : quartiers nord, gare, St Jacques… Cette « reconquête urbaine » basée sur « l’occupation du terrain » (quel choix de termes évocateur !) s’accompagne régulièrement de projet de rénovation : extension de la ligne de tram et agrandissement du stade Gabriel Montpied à Champratel, modernisation de la gare et projet de restructuration du quartier avec la création du seconde ligne de tram, destruction prochaine de la Muraille de Chine à Saint Jacques, etc. Autant de projets qui, élaborés dans leurs « laboratoires » par quelques expertEs en urbanisme et imposés par les politiques, permettent une meilleure emprise sur ces espaces problématiques et la vie de ses habitantEs. C’est dans certains de ces quartiers qu’avaient éclatées en janvier et février 2012 des émeutes suite à l’assassinat de Wissam par des ordures de keufs le 31 décembre 2011. Depuis, à la préfecture, on assure une meilleure configuration des services de polices, en lien « avec la mairie et le SMTC** », pour des « opérations de fond et réagir dans l’urgence ».
Il devient de plus en plus vital de nous prouver le contraire, d’ébranler leurs certitudes par une multiplication d’offensives contre tous les symboles de cette ville-prison et de son quotidien asservissant ! Alors que chaque jour un peu plus la logique carcérale nous habite et nous abîme, ébrouer nos individualités apathiques et les faire vibrer au diapason de la révolte semble être le seul horizon possible pour arracher quelques instants de liberté.
* Première phase de vidéosurveillance municipale entamée en 2014 par Bianchi et son adjoint à la sécurité Jérôme Godard avec l’installation de 22 caméras et la création d’un centre de supervision dans les locaux de la police municipale. La deuxième phase d’installation est prévue pour 2016.
** Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’agglomération clermontoise, qui gère bus, tram et C.vélo