À Riom, l’état expérimente une nouvelle manière d’écraser les individues. Ce projet a un nom : établissement à réinsertion active, autrement dit ERA. Derrière cette nouvelle création sémantique se cache une réalité millénaire et nauséabonde, la taule. Rapide aperçu de cette récente reconfiguration de l’oppression carcérale et de sa rhétorique « plus verte et plus humaine ». À gerber !
Le 31 janvier 2016, les taulardEs qui croupissaient dans la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand et dans la maison d’arrêt et le centre de détention de Riom ont quitté leurs cellules vétustes. Loin de se faire la belle, il s’agissait pour elles et eux de prendre leur quartier dans un centre pénitentiaire flambant neuf, au terme d’un court trajet en bus encadré par la bagatelle de 250 matonNEs, de 225 flics et gendarmes ainsi que d’agents des ERIS*. Ce bâtiment de 34000 m2, construit par l’entreprise SPIE Batignolles** et surveillé par 250 matonNEs, pourra au plus fort de son activité assurer la torture quotidienne de 566 personnes. Et à cette fin, rien n’a été laissé au hasard.
Deux maisons d’arrêt, un quartier de détention et un quartier d’évaluation pour hommes, une maison d’arrêt pour femmes, un quartier de semi-liberté. Pascal Moyon, le dirlo***, est très fier d’annoncer que son établissement de mort respecte toutes les dernières normes européennes en matière d’enfermement. L’accent est notamment mis sur les toutes nouvelles cellules individuelles avec douche. S’il est difficile de ne pas comprendre le soulagement des détenuEs, jusque là entasséEs à trois ou quatre par cellule, à l’idée d’obtenir une miette d’espace en plus et la possibilité de se laver à souhait, il ne faudrait pas non plus être dupes. Heureusement l’affreux dirlo est là pour nous rassurer : « le confort des détenus c’est d’abord celui des personnels qui y travaillent ». Car comme touTEs les expertEs retors de la domination des individuEs l’ont appris et expérimenté depuis bien longtemps, il n’y a rien de tel que l’isolement et l’atomisation pour briser les rages et les solidarités qui mènent trop souvent à leur goût à la révolte et dans le cas présent, à la mutinerie.
Outre les bâtiments réservés au logement des prisonnier-ère-s se trouvent dans cette prison un gymnase, une salle de spectacle, une salle culturelle, quelques espaces verts, des salles de classe, de vastes ateliers… ainsi qu’un pôle d’insertion et de prévention de la récidive. On rentre là dans ce qui fait la spécificité de cet Établissement à Réinsertion Active. Il s’agit de mettre en œuvre tous les moyens pour que la taule joue enfin son rôle : la « réinsertion », c’est-à-dire la froide et brutale normalisation des comportements dans une optique d’intégration à une société autoritaire. On peut compter pour cela sur les habituelLEs professionnelLEs de la répression douce. Psychologues, agentEs du SPIP****, mais aussi vermines de Pôle Emploi, de la CAF ou de missions locales seront chargéEs d’évaluer régulièrement si les taulardEs jouent bien le jeu de la soumission et de préparer leur retour dans le monde extérieur. A cette fin, ces fossoyeurs-euses de liberté peuvent jouer de deux puissants leviers. Tout d’abord, ce n’est pas par hasard si ce centre pénitentiaire est doté de deux maisons d’arrêt. En effet, l’une d’elle bénéficie d’un régime « ouvert », grâce auquel certainEs prisonnier-ère-s, sélectionnéEs pour leur docilité, pourront circuler à leur guise dans l’enceinte de la taule un certain nombre d’heures dans la journée. Celles et ceux qui traînent des pieds, les réfractaires et autres insoumises resteront dans la seconde maison d’arrêt, avec le régime dur. Cette « innovation » est basée sur le système Respecto, un concept espagnol expérimenté là-bas depuis quelques années. C’est également dans cet esprit que sont définies les modalités d’accès aux parloirs familiaux et aux Unités de Vie Familiale (UVF)*****. Les plus « méritants » auront le droit d’y séjourner de 6h à 72h. Mónica Caballero, anarchiste prisonnière de la guerre sociale en Espagne décrit ainsi ce système : « l’exercice de l’autorité est donc pris en charge en premier lieu par les prisonniers eux-mêmes, dans un ‘commun accord’ quant aux bases pour normaliser et coopérer ». Ce que l’administration pénitentiaire n’obtient pas par la force, elle tente de l’obtenir par le chantage et la persuasion.
Il y a deux mois, quelques 360 habitantEs de Riom (sans doute triéEs sur le volet) qui ont visité la prison avant l’enfermement des détenuEs ont fait part de leur inquiétude face à l’absence de miradors, à la présence d’espaces verts extérieurs et à la faible hauteur des murs******, mais ont également manifesté leur indignation devant cette débauche de luxe quand il est de plus en plus difficile de vivre décemment pour des gens normaux. Au delà du sadisme et de la bêtise crasse de ces réflexions, celles-ci révèlent à quel point la frontière entre vie dans la prison et existence à l’extérieur s’estompe toujours plus. Ces citoyenNEs bien dressé-e-s en viendraient presque à envier une cage, c’est dire si le pouvoir les a bien accoutuméEs à vivre privÉes de liberté.
Qu’elles soient archaïques ou modernes, soyons clairEs : les murs des taules tiennent debout grâce aux profondes fondations enfouies dans la peur qu’elles nous provoquent. À nos yeux, aucun monde n’est désirable tant qu’elles n’auront pas été réduites en cendre.
Crève la taule, car ce monde n’en a que trop besoin !
Solidarité avec touTEs les enferméEs révoltéEs !
* Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité, globalement le GIGN de la taule, une bande d’ordures cagoulées et sur-violentes.
** SPIE Batignolles, entreprise de BTP dont la devise « le meilleur reste à construire » nous laisse très peu impatientE de découvrir la suite, a obtenu en 2010 un Partenariat Public Privé (PPP) commandité par le Ministère de la Justice pour la construction de 4 nouvelles prisons ultramodernes. Celles de Valence (Drôme) et Beauvais (Oise) ont été livrées en juin 2015. Maintenant que celle de Riom est terminée, il ne reste plus qu’à attendre 2017 et la fin du chantier de Lutterbach (Haut-Rhin) pour que ces enflures parachèvent leur œuvre.
*** Pascal Moyon, directeur de la taule, est également celui qui en a assuré la conception, officiant comme chef de projet pendant les 2 ans qu’ont duré sa construction.
**** Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.
***** Appartements avec chambres, cuisine aménagée et terrasse pour accueillir les conjointEs et les enfants . Comme à la maison…
****** Pour approfondir sur la rhétorique de l’humanisation des prisons, on vous conseille de lire Une cage en or reste une cage : Enfermer humainement, ça n’existe pas !, paru dans la brochure « La Ruina » http://www.lacavale.be/IMG/pdf/la_ruina.pdf