On se souvient encore de ces affreux méchants méchants qui en 2005, lors des trois semaines d’émeutes qui ont secoué les banlieues, avaient vandalisé «leurs» écoles. Des bandes de révolté-e-s fracassaient ce modèle éducatif, explosaient ce dispositif d’intégration sociale, foutaient le feu à ce symbole démocratique qu’est l’éducation nationale. Ces images firent le tour du monde et nombre de spectateurs-trices s’émurent devant ces scènes de guerre civile et les discours réactionnaires tenus par les journaflics. Des écoles attaquées, il y en a toujours eu. Et depuis ça n’a pas cessé. Chaque année on peut dénombrer une bonne dizaine, voire une bonne vingtaine d’établissements saccagés. Ces révoltes sont moins visibilisées aujourd’hui qu’à ce moment précis mais parfois on entend encore des fracas, venant de l’autre côté des barreaux, arrivant jusqu’à nous. Et si l’on réfléchit ne serait-ce que cinq minutes à ce que cette institution représente, comment s’étonner de la voir régulièrement prise pour cible par les insoumis-e-s ?
L’institution scolaire, avec son mur d’enceinte, ses surveillantEs, sa cour de promenade, ses caméras et bientôt ses portiques n’est qu’une déclinaison de plus de la prison. Les mots d’ordre – courber l’échine, se mettre dans le rang, dire merci – doivent être connus par cœur avant l’entrée dans la réalité du monde. La discipline est stricte et l’enfant y est soumis par la punition ou la récompense. La scolarité est le tuteur redressant les mauvaises herbes que nous pourrions devenir.
Le savoir, utilisé comme l’instrument d’un rapport de pouvoir, y est dispensé par la voix d’un-e maître-sse et non découvert, discuté, approprié par les enfants et les adultes. Il ne sera jamais remis en question et les vérités professées devront êtres sues sur le bout des doigts. Le programme éducatif national consiste à former de futurs bon-ne-s citoyen-ne-s en leur inculquant l’apprentissage, l’intégration et la reproduction des valeurs sociétales et non, comme aiment à le faire croire ses apôtres, à réfléchir, comprendre, avoir l’envie de découvrir et de créer ensemble ou par soi-même.
L’ombre de l’exploitation salariale, seul horizon possible après avoir quitté les bancs de la salle de classe, pèse sur chaque centimètre carré de l’espace. Le rythme scolaire, similaire à celui du travail, dicte à l’enfant la cadence qu’il devra suivre tout au long de sa vie et on le formera selon les logiques libérales de compétitivité et de réussite personnelle. L’enseignement – le rapport du maître à l’élève – conditionne la passivité de l’être en devenir.
L’école est un laboratoire social où sont mis en culture les corps et les esprits. Complétant à merveille la structure familiale, elle constitue le premier espace dédié à l’assimilation des normes (genre, sexualité, beauté…) et des rapports de domination (classisme, patriarcat, âgisme…).
C’est à ce moment que fonctionne à plein régime la machine à uniformiser les individuEs, calquant leurs identités sur des stéréotypes manufacturés, les incitant à développer le jeu de la représentation et à surdimensionner leurs égos. Ressembler à une «vraie fille» qui parle chiffon avec ses copines, avoir une attitude virile quand on est «entre mecs» – et surtout devant les meufs – sont les comportements conformes si l’on ne veut pas se sentir exclu-e-s. Les marques de fringues, la bonne coiffure et avoir la gouaille sont les clés de la renommée. Développer une personnalité aussi profonde que les images qui tapissent les agendas scolaires, ressembler à M Pokora ou on ne sait quel «people» pour être la star du bahut, le stade suprême du quart d’heure de gloire tant vanté par le petit écran. L’école est le lieu où se concentrent toutes les attitudes merdiques que le marketing veut nous vendre.
Ce lieu d’enfermement est le terreau de rapports sociaux, là où le pouvoir aime voir germer les graines de la normalité et de l’exclusion. C’est là que la mise au banc des non conformes – les réfractaires et autres mauvais-es élèves, les «pédés», les garçons manqués, les intellos… – se développe, s’applique et s’enracine. La violence du rejet de l’Autre et sa volonté de le dominer est caractéristique de ce que l’on peut voir partout ailleurs, dans la rue, entres potes, en famille ou au turbin. L’école est un concentré caricatural du monde dans lequel nous vivons.
Pourtant malgré la puissance de l’institution scolaire, nombreux-ses sont les personnes qui arrivent à passer entre les mailles du filet de la soumission et de la normalité. Toujours en luttant pour conserver un esprit rebelle à l’assujettissement. Souvent grâce à l’entraide avec des complices à l’intérieur ou à l’extérieur des murs. Parfois en y laissant des plumes. Et lorsque l’on arrive à s’extraire, on voit l’école non pas telle qu’on veut nous la vendre, un lieu d’éveil et d’émancipation, mais pour ce qu’elle est réellement, une machine à codifier, évaluer, hiérarchiser et exclure. Et on garde une dent contre elle.
Alors quand des enfants ou des ados retournent ces établissements qui les privent de liberté, qui les conditionnent à mieux fermer leurs gueules ou quand des émeutiers-ières crament ces édifices où le pouvoir a tenté de leur faire baisser la tête, on ne s’étonne pas. Non, on sourit de toutes nos dents et on repense à l’adage : chaque âge saccage sa cage !
CES DERNIERS TEMPS, DANS LES PARAGES…
Pour celles et ceux qui croiraient que saccager une école n’advient que dans les métropoles tentaculaires ou dans leurs banlieues dégénérées, c’est-à-dire loin de chez elleux, c’est une vraie joie de vous détromper.
avril 2013 : A la tombée de la nuit, 6 sacripants quittent en courant l’école Jean-Jaurès située dans le quartier Saint-Jacques (Clermont). Vol de matériel, mobilier renversé, extincteur vidé dans les locaux… La moitié de l’équipe, composée de jeunes de 13 et 14 ans, se fait choper par les schmitts après s’être faite dénoncer par des passant-e-s zélé-e-s.
mai 2014 : Les 4 salles de l’école primaire du Vieux Bourg à Commentry (Allier) ont été mises à sac. Le mobilier, les ordinateurs et le photocopieur sont détruits ; les murs, les rideaux et les sols sont maculés de peinture. Une enquête a été ouverte par les gendarmes de la brigade de Commentry qui ont rapidement identifié trois jeunes de 11 et 12 ans, tous élèves du collège.
25 mai 2016 : D’importantes dégradations ont été commises dans la nuit dans l’enceinte de l’école de la Jordanne, à Aurillac. Plusieurs classes ont été visitées, tout comme la garderie, la salle des maîtres et la salle de musique. De la peinture a été projetée sur les murs et sur le mobilier, des objets ont été renversés, des inscriptions ont été faites un peu partout. Les sauvageon-ne-s courent toujours…