En 17 lettres : misère du quotidien

Comme chaque année les chiffres viennent de tomber. Nous sommes aujourd’hui entre 8 et 9 millions de déclaré-e-s pauvres en fRance. Plus de 13% de la population vit en deçà des 60% du revenu médian. 13% vivant avec moins de 1000 euros par mois. Chiffres que l’on peut facilement mettre en regard avec le montant du smic (soit 143,72 euros de plus que le revenu dit pauvre) et au fait que plus de 65% des travailleurs-euses « gagnent » entre le smic et le smic + 100 euros (soit plus de 18 millions de personnes).

Voilà des chiffres et des lettres produits par les experts et dont le JT nous abreuve.

La pauvreté est avant tout un épouvantail sociétal. C’est le monstre que l’on agite pour mieux nous faire adhérer aux mécanismes d’un monde oppressant. C’est elle que l’on croit fuir lorsque l’on accepte des boulots de merde payés des miettes, lorsque l’on se résigne à raquer des sommes astronomiques pour loger dans des cages à lapins.
La misère, c’est un concept de résignation face à l’existant. Tracer sa voie, se choisir une qualification, espérer trouver au plus vite un CDI qui nous amènera à reproduire la même merde durant 42 putain de longues années, attendre la retraite pour pouvoir respirer enfin, dernier souffle avant la mort, qu’elle est belle cette tombe… C’est quoi tout ça ? Prendre volontairement perpète ? Un suicide à long terme ?

La pauvreté en fRance n’est pas en lien avec notre salaire. Elle n’est pas dans le trou de notre semelle ou dans l’énième assiette de pâtes qui nous sert de repas. La pauvreté est avant tout dans notre approche au monde. Dans notre quotidien morose, dans la platitude des relations avec notre entourage, dans la misère de « nos » désirs, désirs conditionnés par la publicité. La pauvreté c’est croire que la liberté c’est le fait de pouvoir choisir entre un produit A et un produit B lors d’une élection ou au rayon d’un supermarché. C’est croire que devenir propriétaire d’un pavillon avec tous les artifices qui vont avec (mari /femme, 2 enfants, le chien, crédit sur 30 ans, CDI…) comblera le vide de notre vie. La misère c’est croire que sa propre émancipation passe par le travail et que l’ennui s’installerait si on se libérait de cette exploitation. C’est dire merci à l’employeur lorsqu’il nous remet le chèque mensuel au lieu de lui cracher à la gueule. C’est détourner hypocritement le regard lorsque l’on voit quelqu’un taper la manche ou fermer sa gueule lorsque l’on est témoin d’une scène raciste ou sexiste.

La pauvreté existe car nous cédons au fait qu’elle est sociétale et que nous refusons d’agir sur les ressorts qui la font  fonctionner. Car non, la société n’est pas un concept abstrait, chacun-e a une fonction et des responsabilités. Le prof qui nous apprend à courber l’échine et à bien répéter ce que l’on doit intégrer et reproduire, le flic qui nous harcèle ou nous tire dessus au flashball, le contrôleur de tram qui fait la chasse aux pauvres, le propriétaire et le banquier qui nous rackettent chaque mois, l’agent Pôle Emploi qui nous contrôle et nous culpabilise sont des êtres de chair et de sang qui agissent dans des lieux bien déterminés. Mais nous aussi on fait partie de tout ça et notre rôle, ça serait de fermer notre gueule et d’obéir.

Ce qui est pauvre, c’est la vie de merde que l’on nous fait désirer.
Ce qui est misérable, c’est d’accepter tout ça sans broncher.

Agir chacun-e sur ce que l’on peut, individuellement ou collectivement, c’est mettre des grains de sable dans les rouages de la machine. Mais n’oublions pas en chemin de défoncer à la masse ces mécanismes de reproduction qui agissent à travers nous.