Quelques grains de sable dans les rouages

Ni loi ni travail
Depuis maintenant deux mois, il est difficile de ne pas constater la multiplication des scènes d’affrontement et de destruction pendant les manifs, officielles ou sauvages, dans différentes villes (Paris, Marseille, Nantes, Rennes, Toulouse, Lyon, Lille, Grenoble, Dijon…). Au-delà de ces moments de confrontation, ces dernières semaines ont été parsemées d’un nombre important de blocages, sabotages, pillages, attaques nocturnes. Autant de manières de porter des coups à l’État, à l’économie et aux structures du pouvoir. Autant d’espaces pour découvrir ou affiner des complicités, mettre en œuvre de nouvelles pratiques subversives et laisser libre cours à notre imaginaire offensif. Malgré une répression qui s’intensifie et se diversifie – déchaînement de la BAC, intervention de l’armée, « charge » des services d’ordre syndicaux avec matraques, manches de pioche et gazeuses, distributions à domicile d’arrêté d’interdiction de manifester, entre autres joyeusetés – le nombre de keufs blessés comme le montant des dégradations et des interruptions de flux ne cessent d’augmenter. Alors que la contestation sociale-réformiste contre la loi El-Khomri faiblit dans un contexte de passage en force du gouvernement avec le 49.3, il semblerait que la détermination de celles et ceux qui n’attendent rien de l’État et ont trouvé dans ce mouvement un espace supplémentaire pour mettre leur rage en acte ne faiblit pas. Extraits choisis…

25 mars : A Paris, suite à la vidéo qui montre un jeune du lycée Bergson se faire tabasser par des flics devant le blocus de son bahut, plusieurs dizaines de personnes ont attaqué le commissariat du 19e à coup de pierres et ont tenté de briser ses vitres blindées en se servant de planches en bois comme bélier. Dans leur foulée ces quelques 150 lycéenNEs sont entréEs de force dans deux supermarchés Franprix et ont ensuite distribués les victuailles pillées aux migrantEs installéEs à Stalingrad.

9 avril : Grosse manif sauvage de plusieurs milliers de personnes au départ de Nuit Debout place de la République en direction du domicile personnel de Valls. Le cortège bien vénèr’, même s’il n’atteint pas son objectif initial, se fait grandement plaisir sur le trajet.

14 avril : Rebelote ! Sauf que cette fois, pas d’objectif géographique précis, juste une envie d’aller là où il y a de la place (comprenez pas de keufs par centaines) pour laisser libre cours à une joie destructrice. Cette balade d’environ une heure laisse dans son sillage un nombre impressionnant de banques, pubs, agences immo, Pôle Emploi, supermarchés, galeries d’art, Autolib, concessionnaires… ravagés.

26 avril : quelques jours après que soient partis en fumée 6 véhicules de Toulouse Métropole, un commissariat de la même ville est attaqué avec des cocktails molotov par des individuEs qui n’ont pas « attendu les indignés 2.0 pour passer des nuits debout ».
« On a fait ça par plaisir.
On a fait ça pour marquer une rupture.
Parce qu’on est à la fois joyeux et en colère.
On n’a plus envie d’être là ou vous nous attendez. »

28 avril : Après les vacances (!!!), reprise des hostilités. Ça pète un peu partout, notamment à Rennes où environ 600 personnes s’affrontent avec les flics qui tentaient de protéger les banques et autres monstruosités. Dans plusieurs villes, ça tente de briser le train-train quotidien. A Marseille, la Gare St Charles est bloquée tandis qu’à Gennevilliers, c’est le plus gros port fluvial de la région parisienne qui est envahi et qu’à Toulouse, 150 personnes empêchent l’accès à la zone logistique Eurocentre.

3 mai : À Nantes, premier jour du passage de la loi au parlement, un appel à manifester auquel les syndicats ne se joignent pas rassemble plusieurs centaines de personnes. Un commandant de la BAC se prend une grosse dérouillée à coups de pompes et de barre de fer. On apprendra que 10 jours plus tard une personne est interpellée et inculpée pour tentative d’homicide.

5 mai : les vitres du Pôle Emploi de Montreuil sont défoncées à coups de masse. Sur les côtés on pouvait lire « Esclavagistes modernes – Ni loi ni travail »

Lundi 9 mai : Porte de Pantin, barricades enflammées et sabotage au ciment prompt sur les voies du tramway puis à l’entrée du périphérique. Par une grande banderole, les polissonNEs affirmaient : « Tout le monde déteste le lundi matin » !

10 mai : jour du passage en force du 49.3, ça se rassemble spontanément dans de nombreuses villes. A Grenoble, un cortège d’environ 1000 personnes prend le centre-ville pour un « saccage généralisé ». Les baies vitrées de l’École de commerce, une annexe de la mairie et le siège du journal le Dauphiné Libéré s’en souviennent.

12 mai : À Nantes, les voies de la Gare Sud sont envahies et le trafic interrompu. Le hall de la gare est ravagé, toutes les vitres extérieures sont explosées. A Besançon, suite à une tentative de perturber le conseil municipal qui se termine par une interpellation, une colère vengeresse éclate dans la nuit : le local PS et le comico sont repeints de slogans hostiles et dans le quartier des Chaprais, des vitrines de ce monde de fric et d’exploitation ont été défoncées (une dizaine d’agences d’assurance, mais surtout d’agences intérim et immobilières).

14 mai : Manif vengeresse. A Rennes, le lendemain de l’expulsion de la « Maison du peuple », occupée depuis le 1er mai dans le cadre du mouvement, plusieurs centaines de personnes laissent péter leur colère : caméras de vidéosurveillance, chantier du métro, banques, boutiques de fringue, local du PS, commissariat. Ce n’est qu’après avoir commencé à s’attaquer à la mairie que les flics arrivent à endiguer l’émeute. Sur une des banderoles on pouvait lire : « Dieu pardonne, pas nous ».

18 mai : Alors que quelques centaines de keufs se sont rassemblé-e-s Place de la République (Paris) pour larmoyer sur la « haine anti-flics » dont iels seraient l’objet, un groupe de personnes bien détér’ s’en prend à une bagnole qui rentre d’intervention quai Valmy. En quelques dizaines de secondes, les coups pleuvent sur les vitres et la gueule d’un des flics pendant que la caisse part en fumée. Une pancarte laissée à quelques mètres invite : « Poulets rôtis. Prix libre ». Moins de 24h après, on apprend que cinq personnes ont été interpellées avec des charges de tentative d’homicide volontaire.


La suite
Dans la nuit du 28 au 29 avril à Toulouse, les locaux de la Dépèche Intéractive ont été attaqués. On peut lire dans la revendication que cette action «est une réaction à la publication d’un article propageant l’idée que «nous, femmes» créons les conditions de nos agressions, en n’incarnant pas le modèle façonné par les désirs des hommes, qui nous veut silencieuses, soumises, obéissantes, et objet de consommation». En guise de conclusion : «Cette action est dédiée à toutes les meufs énervées, nous espérons par là chauffer vos cœurs. Que les actions contre le patriarcat se multiplient ! A vos marteaux… Prêtes ? Partez !»

7 et 8 mai : Le samedi, une centaine de personnes se sont rassemblées pour foutre un joli bordel devant le centre de rétention administrative (CRA) de Nîmes. La barrière de l’entrée et les clôtures ont subi un assaut déterminé de la part des manifestantEs, tapant dessus à coups de pied, de poing, ou de cailloux, avant d’être rapidement repeintes par de jolis slogans. On dirait que ça a mis la pêche, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le lendemain, trois hommes s’évadaient en sciant les barreaux de leur cellule. Ailleurs en ville, c’est un dépôt de la SNCF, collabo notoire de la machine à expulser, qui prenait feu détruisant le poste de pilotage du train et un espace passager.

7 mai : En Belgique, dans un contexte de grèves des matons, de nombreuses émeutes ont éclaté dans différentes taules. Des prisonniers-ières des prisons de Tournai, Arlon, Huy, Lantin, Andenne…, pousséEs à bout par les conditions déplorables dans lesquelles on les laissait depuis une quinzaine de jours, ont laissé éclater leur rage le 7 mai : incendies de cellules, inondations des ailes, saccages des couloirs. Une mutinerie dévastatrice a secoué la prison de Merksplas (Anvers). Des ailes entières ont été démolies et incendiées par les prisonniers insurgés. Des murs ont été rasés au sol, des grillages abattus, les sections saccagées.

19 mai : trois voitures d’agents pénitentiaires des Baumettes à Marseille, stationnées devant la porte principale de l’établissement, sont parties en fumée. Ce n’est pas la première fois puisque deux véhicules d’agents avaient déjà été carbonisés il y a un mois, et trois autres il y a trois ans. A rappeler que la fin du chantier des Baumettes 2, nouvelle taule ultra-moderne, est prévue pour la fin de l’année.