Avoir de la prise sur l’offensive, se donner la niack pour l’attaque

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C’était prévisible, le mouvement social contre la Loi Travail est mort tranquillement pendant l’été. À Clermont comme ailleurs, les syndicats sont docilement rentrés à la niche et les citoyenNEs de Nuit Debout sont allé-e-s se coucher. Et nombre de personnes semblent avoir perdu avec ce mouvement un espace d’expression pour leurs désirs et leurs colères. Fini les manifs ! Fini les blocages ! Toute la tristesse de la réalité de la politique1 éclate au grand jour : tenter de « changer les choses » en s’inscrivant dans un calendrier officiel, en jetant ses forces dans une bataille dont l’objet reste pour une bonne partie des protagonistes l’amélioration des conditions de leur exploitation, c’est foncer de manière inévitable dans le mur. La seule façon d’éviter de se le prendre en pleine face, c’est de se décaler le plus vite possible, c’est-à-dire créer ses propres rythmes et pratiques d’intervention dans ce moment social, basé sur des idées qui le dépassent largement : la haine de l’État et de ses larbins, le désir de voir la révolte flamber et la solidarité l’attiser, la volonté de vivre libre dans un monde débarrassé de toute domination, travail compris. Bref, de manière autonome.

C’est ce qu’ont joliment touché du doigt fin juin les quelques indisciplinéEs qui, anonymiséEs par le port d’un masque et d’un déguisement pour certainEs, ont mis à profit l’occupation du conseil départemental par le « mouvement » pour y faire le plus de dégât possible. Une initiative qui a fait chaud au cœur mais qui s’est malheureusement soldée par trois interpellations. Au-delà d’un certain nombre d’interrogations sur ce qui aurait pu permettre à ces personnes de ne pas se faire pécho, notamment une pratique plus partagée du vêtement et masque noir pour difficiliter l’identification par les keufs, cette action passée amène une question plus large : les moments émeutiers dans les grandes manifestations, si vivifiants et riche d’expériences soient-ils, sont-ils réellement autonomes alors même qu’ils dépendent du rassemblement de masse et/ou de la temporalité syndicale pour advenir ?

Pourtant, en dehors de la valse des mobilisations, les occasions ne manquent pas de passer à l’attaque pour celles et ceux qui lâchent la bride de leur imagination. Seul-e ou à quelques unEs, il suffit d’affûter un peu le regard et d’arpenter de jour et de nuit les rues et les ruelles pour voir apparaître des cibles par dizaines. Le pouvoir est partout et partout il se matérialise : de manière officielle bien sûr (mairie, préfecture, comico, taule…), mais aussi politique (locaux de partis), capitaliste (entreprise, banque, pub…), logistique (train, tram, bus, Cvélo…), social (CAF, Pôle Emploi…), éducatif (de la maternelle à la fac), médiatique, religieux… La liste est sans fin et tenter de la rendre exhaustive ne reviendrait qu’à réduire le champ des possibles.

Il en va de même concernant la multiplicité des moyens d’attaque, la seule nécessité étant qu’ils portent en eux-mêmes la fin qu’ils servent à atteindre. Pour le dire autrement, il est impensable de lutter pour la liberté de manière autoritaire ; il est absurde de tendre à l’auto-organisation en délégant son action ou son choix ; il est insensé de refuser que le pouvoir et l’économie découpe notre existence pour les faire rentrer dans leurs petites cases en disséquant nos individualités et dans le même temps de se spécialiser dans la guérilla urbaine au détriment de tous les autres aspects de la vie2. La fin est contenue dans les moyens mis en œuvre, toute démarche contraire relevant de la stratégie politique.

Alors oui, ce mouvement social comme les précédents (CPE, retraites…) est enterré. Ce n’est pas pour autant que les hostilités contre ce monde de merde ont cessé, y compris à Clermont et ses abords. Il suffisait de traîner aux Vergnes fin septembre pour constater que les flics étaient particulièrement sur les dents de s’être fait piéger et attaquer deux soirs de suite à coups de caillasses et de molotovs. Ou bien de flâner sur le boulevard Lavoisier dans les premiers jours du mois d’octobre pour se rendre compte que le Pôle Emploi, cette salle usine du contrôle, s’était fait défoncer ses vitres. Un sort partagé par les vitrines du PS et des Témoins de Jéhova début novembre à Brioude. Au lieu de se concentrer dans un espace-temps donné comme l’opposition à la Loi Travail en tentant de la faire déborder de son déroulement par trop tranquille et jalonné, ces trois exemples d’acte de révolte s’inscrivent dans une conflictualité quotidienne et diffuse.

Certes, certainEs pourraient reprocher que cela les rend moins visibles ou impactants de par leur éparpillement géographique et temporel. Soit, laissons aux chefFEs et aux stratèges l’organisation collective de la révolte sociale. Pour nous3, il est bien plus intéressant de considérer l’affaire depuis un autre angle : puisque le pouvoir est partout et qu’il est absurde de lui donner rendez-vous pour s’en prendre à lui, nous préférons avancer avec celleux qui choisissent de le frapper de manière désordonnée et surtout, là où il ne nous attend pas.


1Pour cerner ce que l’on entend par politique ici, vous pouvez lire ce texte : http://acorpsperdu.wikidot.com/dix-coups-de-poignard-a-la-politique

2Pour le dire autrement, faire le choix, pour attaquer le pouvoir là où il se matérialise dans l’espace public, de sacrifier toute volonté de le détruire aux autres endroits où il apparaît : les rapports d’autorité dans les relations interindividuelles, les normes qui nous modèlent et nous assignent une identité conforme, l’expertise des sachantEs…

3Pour préciser, il s’agit d’un « nous » qui désigne les personnes qui s’activent pour que ce bulletin existe.


Bim les keufs
24 et 25 septembre aux Vergnes, deux nuits, deux guets-apens. Les pompiers et les keufs sont appelés pour des feux de véhicules. Mais à leur arrivée, ça ne se passe pas vraiment comme ils s’y attendaient. Une dizaine de personnes planquées dans des bosquets les attaquent à grands jets de pierres la première nuit et à coups de cocktails molotov la seconde. Une bande méchamment détér_!

Le 10 octobre en fin de journée, l’adjoint de sécurité du commissariat de Clermont est visé par des pétards à l’intérieur même du bâtiment. L’auteur se barre en courant mais malheureusement, il est balancé par un citoyen et interpellé dans le quartier, non sans avoir distribué insultes et coups.

Bim les matons
Lundi 7 novembre, un maton du centre de détention d’Uzerche (Corrèze) s’est pris un coup de poing au visage. Deux jours plus tard, un autre détenu a mis un grand coup de pied dans une porte. La main du maton qui la maintenait s’est retrouvée coincée contre le mur. Il a eu un doigt arraché. Qu’il s’en morde les autres !

Le 6 décembre, profitant d’une sortie à vélo, un taulard du centre pénitentiaire de Riom s’est fait la belle à bicyclette et court toujours. Il s’était déjà évadé en 2014 de la prison de Nevers. Big up et bonne route_!

Bim bim bim
La nuit du 6 novembre à Brioude (Haute-Loire), les vitres du local du PS et de la salle du Royaume des témoins de Jéhovah ont été défoncées à coups de barre de fer et de plaques d’égout (!).


La Bourrasque n°1 – Mars/Avril 2016 – Version PDF

La Bourrasque est un bulletin qui ne se construit depuis aucune base politique, idéologique ou morale, considérant que ce ne sont que trois facettes d’une même domination. Les textes proposés ici ne se nourrissent que de rages et de désirs. La rage contre ce monde pourri par l’autorité et le fric. Le désir de vivre des instants d’insoumission et de liberté. S’il nous tient à cœur de mieux comprendre et évoquer dans ces lignes comment s’articulent les dominations qui traversent cette société, ce n’est pas pour en être les spectateurs-trices indignéEs mais pour envisager des pratiques et des horizons offensifs contre tous les pouvoirs. Allergiques aux dogmes et aux avant-gardismes, nous ne souhaitons ni convaincre, ni persuader. Dans La Bourrasque, nous voyons plutôt un souffle qui circule de rencontres en affinités. Une rafale qui recherche les brèches du vieux monde pour s’y engouffrer et les élargir. Un peu de vent pour que le feu se propage.

 

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L’arme à l’oeil

Cela fait un moment que la question de la quotidienneté de la domination me prend la tête et les tripes. J’entends par là cette multiplicité de « petites* » agressions, humiliations, brimades, de celles qui nous travaillent au corps incessamment et qui entretiennent la soumission au jour le jour. J’avais envie d’entamer un processus de réflexion et d’écriture qui essaie, en prenant son temps, d’envisager cette question dans sa complexité, d’en débrouiller les intrications, d’en saisir les nuances et d’envisager des pistes de lutte. Le texte qui suit serait donc à prendre comme un premier jalon, comme une nécessité de tirer sur le fil pour mieux dérouler la pelote. Il s’agit d’une tentative de l’aborder d’une manière plus sensible que théorique (en l’occurrence par le regard), depuis mon individualité (celle d’un mec, blanc, issu de la classe moyenne). Le fait de le diffuser ici peut être vu comme une invitation à la discussion et à la critique, qui permettraient de nourrir et d’affiner ce début de questionnement encore mal dégrossi.

Chaque jour, je suis témoin de situations qui me hérissent, me dégoûtent ou me mettent carrément hors de moi. Des situations dans lesquelles des individuEs se font écorner, ratatiner, humilier. Qu’elles soient liées au sexe, au genre, à l’âge, à la classe sociale ou à la soi-disant « race » (et j’en passe), toutes les formes de domination qui traversent cette société s’expriment quotidiennement, sans trêve et sans complexe. J’y suis donc sans cesse confronté dans la rue, au travail, dans les administrations, en famille ou dans n’importe quel autre « espace public ». Et pourtant, cette société m’accorde un grand nombre de privilège qui me positionne comme dominant de fait ou potentiel, m’obligeant à un effort d’imagination pour tenter de percevoir ce que d’autres se prennent sans arrêt en pleine gueule. Que manquerait-il pour muer cette capacité d’identifier les dominations en pratique d’intervention pour perturber ou couper court à leurs déroulements, sans me poser en pacificateur, en embrouilleur ou en chevalier blanc ?

Parfois c’est la peur qui me retient, celle de m’opposer à un grand groupe ou à une violence exacerbée. Pourtant, rien ne m’oblige a priori à agir seul. Pourquoi ne pas chercher auprès d’autres personnes présentes à proximité des complicités momentanées, tentant ainsi de briser cette indifférence conditionnée pour créer un élan qui nous permettrait de nous donner la force nécessaire pour agir. D’autres fois, je me sens entravé par les normes sociales, par ces injonctions bien intégrées du type « c’est pas tes oignons ». En effet, qu’il s’agisse d’unE enfant écraséE par son papatriarche ou de la première moitié de ce qui semble être un couple qui piétinerait la seconde (ce qui revient à dire dans une infinie majorité de situations : un mec qui piétine « sa » meuf), intervenir reviendrait à faire irruption dans une « sphère privée ». Pourtant je ne vois la famille ou le couple** que comme des structures favorisant la reproduction des rapports de pouvoir

Alors qu’est-ce qui me retient ? La flemme ? Le fatalisme ? La honte ? L’incapacité de trancher entre envie d’agir en soutien et crainte de déposséder au même instant la personne qui se prend la domination de sa possibilité de révolte ? Autant de questions – et sûrement encore bien d’autres enfouies quelque part – dans lesquelles j’ai l’impression de m’enliser, accumulant un sentiment d’impuissance et de passivité. A balancer entre larmes de frustration et l’arme de l’action.


 

* « Petites » à prendre comme « à l’échelle individuelle »

** Par couple, j’entends cette construction sociale et morale rigide et oppressante basée sur l’hétéronormativité.

Participation et pacification

Quelle chance a-t-on de vivre dans notre société occidentale où règne la démocratie, le plus juste et le plus adaptable de tous les systèmes politiques ! Si certainEs réformistes se plaignaient d’avoir délégué trop de pouvoir à « nos dirigeantEs », les voilà combléEs : démocratie participative, concertation, diagnostique partagé, co-construction des décisions, conseils de quartier, réunions publiques, démarche de proximité… A Clermont comme ailleurs, la même petite musique agaçante. La même bouillie rhétorique, prémâchée et prédigérée, tellement plus pratique pour le gavage.

En un mot comme en mille, il ne s’agit au final que de proposer aux citoyenNEs (au sens premier du terme, si cher à celles et ceux qui se revendiquent ainsi, qui prend part à la vie de la cité) de prendre en charge une partie des mécanismes de la domination. De l’aménagement mortifère des espaces comme avec les consultations publiques pour la rédaction du Plan Local d’Urbanisme (PLU) jusqu’à la surveillance des rues et des propriétés grâce aux « voisins vigilants », si fiers de travailler en lien direct avec les keufs, il semblerait qu’il n’y ait aucune limite quant à la « liberté » de s’accommoder de sa condition d’esclave, d’entretenir sa résignation et son apathie. Difficile de dire quel sentiment l’emporte, entre la tristesse et la rage, à voir tant de personnes nager comme des poissons dans l’eau aseptisée du beau bocal qu’on leur vend au prix de leur liberté.

De notre côté, il est hors de question de négocier notre soumission, de débattre d’une meilleure répartition du pouvoir, d’imaginer une manière moins désagréable de mourir asphyxiéE dans ce monde de merde. OK pour imaginer un monde nouveau, mais pas avant d’avoir mis à bas les fondations de celui dans lequel on survit.

Détruits ce qui te détruit !
Feu à la paix sociale !

Prison 5 étoiles : sur les taules « humaines » et autres conneries de ce genre

À Riom, l’état expérimente une nouvelle manière d’écraser les individues. Ce projet a un nom : établissement à réinsertion active, autrement dit ERA. Derrière cette nouvelle création sémantique se cache une réalité millénaire et nauséabonde, la taule. Rapide aperçu de cette récente reconfiguration de l’oppression carcérale et de sa rhétorique « plus verte et plus humaine ». À gerber !

Le 31 janvier 2016, les taulardEs qui croupissaient dans la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand et dans la maison d’arrêt et le centre de détention de Riom ont quitté leurs cellules vétustes. Loin de se faire la belle, il s’agissait pour elles et eux de prendre leur quartier dans un centre pénitentiaire flambant neuf, au terme d’un court trajet en bus encadré par la bagatelle de 250 matonNEs, de 225 flics et gendarmes ainsi que d’agents des ERIS*. Ce bâtiment de 34000 m2, construit par l’entreprise SPIE Batignolles** et surveillé par 250 matonNEs, pourra au plus fort de son activité assurer la torture quotidienne de 566 personnes. Et à cette fin, rien n’a été laissé au hasard.

Deux maisons d’arrêt, un quartier de détention et un quartier d’évaluation pour hommes, une maison d’arrêt pour femmes, un quartier de semi-liberté. Pascal Moyon, le dirlo***, est très fier d’annoncer que son établissement de mort respecte toutes les dernières normes européennes en matière d’enfermement. L’accent est notamment mis sur les toutes nouvelles cellules individuelles avec douche. S’il est difficile de ne pas comprendre le soulagement des détenuEs, jusque là entasséEs à trois ou quatre par cellule, à l’idée d’obtenir une miette d’espace en plus et la possibilité de se laver à souhait, il ne faudrait pas non plus être dupes. Heureusement l’affreux dirlo est là pour nous rassurer : « le confort des détenus c’est d’abord celui des personnels qui y travaillent ». Car comme touTEs les expertEs retors de la domination des individuEs l’ont appris et expérimenté depuis bien longtemps, il n’y a rien de tel que l’isolement et l’atomisation pour briser les rages et les solidarités qui mènent trop souvent à leur goût à la révolte et dans le cas présent, à la mutinerie.

Outre les bâtiments réservés au logement des prisonnier-ère-s se trouvent dans cette prison un gymnase, une salle de spectacle, une salle culturelle, quelques espaces verts, des salles de classe, de vastes ateliers… ainsi qu’un pôle d’insertion et de prévention de la récidive. On rentre là dans ce qui fait la spécificité de cet Établissement à Réinsertion Active. Il s’agit de mettre en œuvre tous les moyens pour que la taule joue enfin son rôle : la « réinsertion », c’est-à-dire la froide et brutale normalisation des comportements dans une optique d’intégration à une société autoritaire. On peut compter pour cela sur les habituelLEs professionnelLEs de la répression douce. Psychologues, agentEs du SPIP****, mais aussi vermines de Pôle Emploi, de la CAF ou de missions locales seront chargéEs d’évaluer régulièrement si les taulardEs jouent bien le jeu de la soumission et de préparer leur retour dans le monde extérieur. A cette fin, ces fossoyeurs-euses de liberté peuvent jouer de deux puissants leviers. Tout d’abord, ce n’est pas par hasard si ce centre pénitentiaire est doté de deux maisons d’arrêt. En effet, l’une d’elle bénéficie d’un régime « ouvert », grâce auquel certainEs prisonnier-ère-s, sélectionnéEs pour leur docilité, pourront circuler à leur guise dans l’enceinte de la taule un certain nombre d’heures dans la journée. Celles et ceux qui traînent des pieds, les réfractaires et autres insoumises resteront dans la seconde maison d’arrêt, avec le régime dur. Cette « innovation » est basée sur le système Respecto, un concept espagnol expérimenté là-bas depuis quelques années. C’est également dans cet esprit que sont définies les modalités d’accès aux parloirs familiaux et aux Unités de Vie Familiale (UVF)*****. Les plus « méritants » auront le droit d’y séjourner de 6h à 72h. Mónica Caballero, anarchiste prisonnière de la guerre sociale en Espagne décrit ainsi ce système : « l’exercice de l’autorité est donc pris en charge en premier lieu par les prisonniers eux-mêmes, dans un ‘commun accord’ quant aux bases pour normaliser et coopérer ». Ce que l’administration pénitentiaire n’obtient pas par la force, elle tente de l’obtenir par le chantage et la persuasion.

Il y a deux mois, quelques 360 habitantEs de Riom (sans doute triéEs sur le volet) qui ont visité la prison avant l’enfermement des détenuEs ont fait part de leur inquiétude face à l’absence de miradors, à la présence d’espaces verts extérieurs et à la faible hauteur des murs******, mais ont également manifesté leur indignation devant cette débauche de luxe quand il est de plus en plus difficile de vivre décemment pour des gens normaux. Au delà du sadisme et de la bêtise crasse de ces réflexions, celles-ci révèlent à quel point la frontière entre vie dans la prison et existence à l’extérieur s’estompe toujours plus. Ces citoyenNEs bien dressé-e-s en viendraient presque à envier une cage, c’est dire si le pouvoir les a bien accoutuméEs à vivre privÉes de liberté.

Qu’elles soient archaïques ou modernes, soyons clairEs : les murs des taules tiennent debout grâce aux profondes fondations enfouies dans la peur qu’elles nous provoquent. À nos yeux, aucun monde n’est désirable tant qu’elles n’auront pas été réduites en cendre.

Crève la taule, car ce monde n’en a que trop besoin !
Solidarité avec touTEs les enferméEs révoltéEs !


 

* Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité, globalement le GIGN de la taule, une bande d’ordures cagoulées et sur-violentes.

** SPIE Batignolles, entreprise de BTP dont la devise « le meilleur reste à construire » nous laisse très peu impatientE de découvrir la suite, a obtenu en 2010 un Partenariat Public Privé (PPP) commandité par le Ministère de la Justice pour la construction de 4 nouvelles prisons ultramodernes. Celles de Valence (Drôme) et Beauvais (Oise) ont été livrées en juin 2015. Maintenant que celle de Riom est terminée, il ne reste plus qu’à attendre 2017 et la fin du chantier de Lutterbach (Haut-Rhin) pour que ces enflures parachèvent leur œuvre.

*** Pascal Moyon, directeur de la taule, est également celui qui en a assuré la conception, officiant comme chef de projet pendant les 2 ans qu’ont duré sa construction.

**** Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.

***** Appartements avec chambres, cuisine aménagée et terrasse pour accueillir les conjointEs et les enfants . Comme à la maison…

****** Pour approfondir sur la rhétorique de l’humanisation des prisons, on vous conseille de lire Une cage en or reste une cage : Enfermer humainement, ça n’existe pas !, paru dans la brochure « La Ruina » http://www.lacavale.be/IMG/pdf/la_ruina.pdf

Clermont, entre métropole et prison : l’étau se resserre

Soyons clairEs ! Il ne s’agira pas dans ce texte de luttes pour « reprendre la ville » ou se « réapproprier nos quartiers ». Ces espaces n’ont jamais été nôtres, que ce soit individuellement ou collectivement. Ni les rues ou les places, ni les hôtels particuliers ou les HLM, ni les stades, les bars ou les salles de concert ne nous appartiennent. La ville a toujours été le terrain de jeu de prédilection du pouvoir ; l’urbanisme, la science qui élabore dans les moindres détails comment elle s’agence et se développe, n’est logiquement qu’un outil des dominantEs. Si l’on déchausse une minute les lunettes du folklore et de la nostalgie, il est difficile de ne pas admettre que l’histoire des cités, anciennes ou modernes, est traversée par une même volonté d’administration des concentrations de population et de gestion des flux humains et marchands. Si l’on peut définir cette disposition au contrôle comme une constante, il est malgré tout important de pointer les évolutions qui ont permis à la ville d’adapter et d’accroître son emprise sur les individuEs qui la peuplent.

Depuis quelques années, l’État impose un nouveau concept, la métropole, qui traîne dans son sillage une série de mots étranges comme attractivité, mobilité, participation, écoquartier… Autant de termes qui dessinent une réalité en kit, un casse-tête géant dans lequel chacun-e serait un pièce condamnée à s’imbriquer à la perfection. Pour aboutir à cette intégration totale, à cette transformation des individuEs en dociles habitantEs qui votent, consomment et ferment leurs gueules, le pouvoir met en place un certain nombre de dispositifs dédiés à faire rentrer dans le rang celles et ceux qui ont un usage déviant du fameux « espace public ». Clermont n’échappe pas à la règle.

L’argument sécuritaire reste un grand classique pour justifier n’importe quelle mesure accentuant le contrôle et la soumission des populations. Lorsqu’il s’agit de façonner des espaces où rien ne se passe en dehors du train-train de la production/consommation et du bal du divertissement, rien de tel que de créer et de monter en épingle un sentiment de crainte chez les citoyenNEs. Sans même parler du délire antiterroriste, nouveau joker que le pouvoir s’est glissé dans la manche en jubilant, on peut observer à Clermont plusieurs exemples plus ordinaires et quotidiens. Le « cas du quartier Mazet/St Pierre » est un des plus significatifs.

Il existe depuis longtemps un enjeu fort pour la Ville à intégrer à l’ordre urbain cet espace où régneraient « incivilités et trafic de drogues ». Mais de quoi parle-t-on ? Les quelques groupes de jeunes qui zonent place du Mazet et rue de la Boucherie ne représentent ni plus ni moins que l’expression d’un rapport anormal à l’espace public. Une anormalité qu’il est indispensable pour les autorités d’effacer en mettant en œuvre deux tactiques : la gentrification et la surveillance.

On commence par aseptiser encore plus la place en la couvrant d’un gris bien minéral et en ajoutant quelques bars et restos pour bobos ou jeunes étudiantEs branchéEs. A quand la rénovation ou le transfert des logements sociaux du quartier pour opérer un tri entre les trop pauvres/chiantEs et les autres ? Cette démarche urbanistique commence ainsi d’oeuvrer à la normalisation de cet espace, ce qui permet ensuite de mieux en justifier l’aboutissement final par la surveillance et la répression. Réacs se plaignant de la baisse de la fréquentation et du chiffre d’affaire de leurs commerces, éluEs alarméEs par les actes d’incivilités, torchons locaux multipliant les gros titres sur la montée de l’insécurité… Tout était prêt pour déployer de nouveaux dispositifs de contrôle : une caméra boule au Mazet, une au marché Saint-Pierre*, un boîtier ultrason pour éloigner les jeunes indésirables, fermeture des passages de traverse de la rue de la Boucherie la nuit (trop bien pour zoner ou échapper aux keufs), création d’une brigade de flics à vélo, contrôles quotidiens de la BAC et des stups… Police, mairie et Ophis (bailleur social) mettent le paquet, avec le soutien des commerçantEs et voisinEs vigilantEs.

Si une pourriture d’élu claironne : « Il faut sécuriser le centre-ville. La liberté, c’est de se déplacer où on veut, et quand on veut », il est évident que ce qui est pointé ici, c’est le comportement déviant de ces groupes qui bouleversent la normalité totalitaire de la ville. Et s’il est clair que les individus parmi eux qui font du biz en vendant leur merde de shit ou accostent des meufs dans la rue du haut de leur position de petits machos nous mettent les nerfs, cette remise en cause permanente de l’ordre urbain provoque la sympathie et appelle la solidarité.

D’autant plus que la dynamique décrite plus haut est à l’œuvre dans plusieurs autres quartiers dits sensibles de l’agglo : quartiers nord, gare, St Jacques… Cette « reconquête urbaine » basée sur « l’occupation du terrain » (quel choix de termes évocateur !) s’accompagne régulièrement de projet de rénovation : extension de la ligne de tram et agrandissement du stade Gabriel Montpied à Champratel, modernisation de la gare et projet de restructuration du quartier avec la création du seconde ligne de tram, destruction prochaine de la Muraille de Chine à Saint Jacques, etc. Autant de projets qui, élaborés dans leurs « laboratoires » par quelques expertEs en urbanisme et imposés par les politiques, permettent une meilleure emprise sur ces espaces problématiques et la vie de ses habitantEs. C’est dans certains de ces quartiers qu’avaient éclatées en janvier et février 2012 des émeutes suite à l’assassinat de Wissam par des ordures de keufs le 31 décembre 2011. Depuis, à la préfecture, on assure une meilleure configuration des services de polices, en lien « avec la mairie et le SMTC** », pour des « opérations de fond et réagir dans l’urgence ».

Il devient de plus en plus vital de nous prouver le contraire, d’ébranler leurs certitudes par une multiplication d’offensives contre tous les symboles de cette ville-prison et de son quotidien asservissant ! Alors que chaque jour un peu plus la logique carcérale nous habite et nous abîme, ébrouer nos individualités apathiques et les faire vibrer au diapason de la révolte semble être le seul horizon possible pour arracher quelques instants de liberté.

 


 

* Première phase de vidéosurveillance municipale entamée en 2014 par Bianchi et son adjoint à la sécurité Jérôme Godard avec l’installation de 22 caméras et la création d’un centre de supervision dans les locaux de la police municipale. La deuxième phase d’installation est prévue pour 2016.

** Syndicat Mixte des Transports en Commun de l’agglomération clermontoise, qui gère bus, tram et C.vélo